Ibrahima Guiré : Histoire d’une vie sculptée dans le bronze
Le bronze est un alliage résistant de cuivre et d’étain contenant parfois du zinc et du plomb. De couleur foncée, il était autrefois utilisé dans la fabrication des armes. De nos jours, il est exploité comme une matière première dans la fabrication des objets d’arts par les bronziers. Les bronziers sont des professionnels du bronze qui manient avec dextérité le bronze pour le redonner une autre vie. Les statues, les médailles, les bijoux sont entre autres des articles les plus courants à base de bronze. En Afrique le travail de bronziers était un art transmis de père en fils.
Ibrahima Guiré fait partie de ses héritiers. En dessus de la trentaine, Ibrahim Guiré est de nos jours un artiste bronzier burkinabè installé au village artisanal de Ouagadougou. C’est à domicile qu’il nous reçoit dans cette soirée du 19 mars 2020. Avec lui nous allons à la découverte des opportunités du sous-secteur artisanal du bronze au Burkina Faso et à l’international.
Comment Ibrahima Guiré est devenu bronzier
Ibrahima Guiré est un jeune artiste bronzier originaire du Burkina Faso. L’histoire des débuts de ce jeune homme est selon lui un « parallélisme » entre parcours scolaire et apprentissage auprès de son père. Nous sommes en 1995 et Ibrahima Guiré vient d’avoir son certificat d’étude primaire (CEP). Cinq ans plus tard soit en l’an 2000 il décroche son brevet d’étude du premier cycle (BEPC). Après son CEP à l’école Saint Michel de Ouidi, et son BEPC au lycée privée Tegawendé de Gounghin, il se lance à la conquête du baccalauréat de 2005 à 2009, sans succès. En effet, après avoir repris plusieurs fois la classe de terminal, Ibrahima a dû abandonner ses études pour être aux chevets de son père malade. Celui-là même qui l’a initié au travail du bronze.
Le travail du bronze chez les Guiré est un héritage traditionnel transmis de père en fils. Ibrahima Guiré a appris auprès de son paternel feu Tasséré Guiré qui lui à son tour avait appris aux côtés du sien. Feu Tasséré Guiré fut l’un des grands artistes bronziers du Burkina et ses œuvres ont survécu à sa disparition. C’est le cas des bustes du cardinal Paul Zoungrana et du Pape Paul VI à l’hôpital qui porte le nom de ce dernier.
Le digne héritier de feu Tasseré a d’ailleurs participé à la réalisation de certaines de ces œuvres. Sa passion, sa curiosité et son caractère « Rebel » ont beaucoup contribué dans son apprentissage auprès de son maître. C’est dans un tel environnement que l’art de travailler le bronze a très tôt séduit Ibrahima Guiré. En 2006-2007 le jeune Guiré va se lancer exclusivement dans le métier. A ce moment-là, celui-ci savait déjà faire quelque chose de ses dix doigts. C’est ainsi qu’il est devenu un bronzier, métier qui le fascine et qui fait aujourd’hui sa fierté.
Un art qui n’a pas de valeur marchande
Au Burkina Faso, la majorité des populations juge les prix des objets d’arts trop peu élevé. Même si pour la plupart les prix sont hors de portés, certains n’hésitent pas à se procurer le précieux « bijou » de bronze. Face à ce constat, Ibrahima Guiré dit les comprendre. Cependant, il invite les burkinabè à ne pas occulter le travail abattu par les artistes. Par exemple dans son atelier situé au village artisanal de Ouagadougou, les prix vont de 1.000 francs à 1.000.000 millions de francs voire plus. Tout dépend de l’œuvre. Au regard de la réticence des nationaux, l’économie nationale du bronze et des objets d’arts est tournée vers l’occident.
La plupart des clients des artistes bronziers proviennent des pays d’Europe et d’Amérique. Les mois de juin et de juillet sont des périodes de vacance en occident. Les mouvements des vacanciers vers les pays d’Afrique comme le Burkina Faso représentent des opportunités d’affaires pour les bronziers. Ibrahima Guiré nous confie que : « Dans l’année nous pouvons faire un chiffre d’affaire de trois (03) à cinq (05) millions ». Cette estimation n’est qu’une moyenne car il peut être revu à la hausse ou chuter.
« Si le marché n’est pas bon nous pouvons avoir un chiffre d’affaire de 500.000 à 1.000.000 de franc CFA » explique-t-il. Et d’ajouter qu’ils peuvent ne pas atteindre ces estimations. Tout dépend donc de l’environnement sécuritaire et culturel des pays. Les chiffres avancés par Monsieur Guiré sont seulement relatifs aux ventes. C’est sans compter avec les commandes que ces artistes reçoivent de la part des institutions publiques et privées et du corps diplomatique. Ces opportunités peuvent s’étendre jusqu’en fin d’année et une partie du début d’année. Mais cette fois-ci, ces professionnels profitent de la clientèle nationale. Avec les fêtes de fin d’année, il y a beaucoup de cadeaux que les gens se font. « Nous recevons des commandes et avec cela nous gagnons notre vie » a-t-il poursuivi.
Le travail de Gurié reconnu sur le plan national
Aussi il y a les concours lancés à l’occasion des évènements culturels et artistiques. A titre d’exemple, il y a le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) et le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO). D’ailleurs Monsieur Guiré est reparti avec le prix du Ministre en charge de la fonction publique lors du SIAO 2016. Il a ainsi empoché la somme de 1.000.000 de nos francs. La Semaine nationale de la culture (SNC) est également une opportunité d’affaire pour l’industrie du Bronze burkinabè. En plus du concours en art plastique, il y a les expositions ventes et les rendez-vous d’affaire avec des partenaires venus d’ailleurs pour tisser des relations. A ce niveau, même si Ibrahima Guiré n’a jamais pris part à la SNC, il compte le faire les éditions à venir. Le concours d’arts plastiques est ce qui retient son attention à la biennale de la culture burkinabè.
Une vie bien réussie dans les œuvres de l’esprit
L’économie des arts du bronze est inestimable car les objets fabriqués ont de grandes valeurs émotionnelles. Les prix auxquels, ils sont vendus ou payés n’ont que valeur symbolique. Le marché des arts africains et burkinabè en particulier est beaucoup tourné vers l’international. D’où les sources de profits économiques saisonniers très intéressant pour des artistes tels Ibrahima Guiré. Même si la situation sécuritaire et la pandémie du coronavirus (Covid-19) a impacté négativement les opportunités d’affaires ces dernières années, les bronziers arrivent à tirer leur épingle du jeu individuellement mais aussi collectivement a expliqué notre interlocuteur.
Les artistes bronziers tout comme beaucoup d’autres corps de métiers s’organisent en groupement. Guiré Ibrahima est membre d’une organisation professionnel d’artiste. Cette organisation défend les divers intérêts de ses membres et soumissionne à des offres de marché dans l’intérêt de ses membres. Ces organisations nouent aussi des partenariats avec d’autres groupements à l’extérieur de leurs pays. C’est le cas de Equitart, une association d’artistes grâce à laquelle Monsieur Guiré a exporté son talent à l’international. Ainsi il a séjourné à Clermont Férrand en France en 2018 avec d’autres artistes dans le cadre d’un partage d’expériences professionnelles.
Au village artisanal de Ouagadougou Ibrahima Guiré est responsable d’un atelier dans lequel il emploie quelques personnes. En plus de cet atelier, il dispose d’un autre, chez lui à la maison. Dans le quartier populaire de Larlé, le jeune Guiré produit divers types d’articles en bronze pour plusieurs types de clients. Des statuettes, des médailles, des trophées, des bijoux, etc. Ses principaux clients se composent des institutions, les touristes, les expatriés et dans une moindre mesure les nationaux. Avec ces acquis, l’entrepreneur bronzier fait vivre plusieurs personnes et subvient aux besoins de sa famille.
Les exigences du travail de bronzier
En Afrique, le travail du bronze se faisait de père en fils du fait de la division du travail. Mais de nos jours la donne a changé. L’activité est pratiquée par des personnes qui se sont formées et qui vivent de ce travail. « Je suis bronzier de tradition mais cela n’empêche pas une autre personne qui ne l’est pas de faire son entrée dans le métier. Il suffit juste d’être patient, de bien observer et de pouvoir bien manipuler la cire » éclaircit notre hôte. Pour quelqu’un qui veut se lancer dans le travail du bronze, il y a des exigences. Il faut du matériel, un peu d’argent pour payer la cire, le crottin, l’argile et d’autres éléments qui rentrent dans le processus de la production.
En exemple, la matière première qu’est le bronze est issue de la récupération. Mais cette dernière décennie, la concurrence asiatique a entrainé la hausse des prix à 2.500 voire 3.000 francs le kilogramme. « Nos parents payaient le kilogramme à moins de 2.000 francs CFA » » lance Monsieur Guiré. Quant à la cire d’abeille, sur le marché le kilogramme se vend entre 4.000 et 5.000 francs. Le crottin d’âne se vend 500 francs CFA le sac et la charrette d’argile peuvent couter 5.000 francs en fonction des ravitailleurs. Au regard de toutes ces dépenses Ibrahima Guiré estime qu’il est toujours mieux de commercer avec le minimum disponible. Pour lui avec 50.000 francs CFA on peut démarrer une activité avec l’accompagnement des devanciers. C’est pourquoi l’artiste se dit prêt accompagner ceux qui désire faire ce travail. « Je ne vais pas demander de payer l’argile ni les crottins. Avec quelques kilogrammes de cire je peux aider à commencer » affirme l’artiste bronzier.
L’économie mondiale des arts
L’économique nationale et internationale des arts se porte discrètement bien. Elle se chiffrait à un peu plus de 64 milliards de dollars en 2019 et emploie plus de 3 millions de personnes dans le monde. Selon les données en date de 2017 de Lafinancepourtous.com. L’Amérique du Nord est le leader du marché, suivie de l’Europe et l’Amérique Latine.
L’Afrique partage la troisième place avec l’Asie et le Moyen-Orient. La faiblesse des parts de l’Afrique dans le marché international des arts est une opportunité à saisir. Car, de plus en plus des personnes se retournent vers « le berceau de l’humanité » pour l’authenticité de sa création artistique. Et les populations africaines ont désormais tendance à s’approprier leur culture. C’est donc un vaste marché source de profits à explorer. En attendant, l’industrie des arts se porte bien au pays des hommes intègres, en dépit d’une situation sécuritaire difficile. Le village artisanal est le quartier général de ces professionnels des arts discrets.
Arnaud Fidèle YAMEOGO